C’est le 12 juin 1967 que je franchis pour la première fois le seuil de l’Arche des jeunes. Mon amie, Jacynthe V. , plus qu’insistante, me rabat les oreilles depuis quelques jours à propos de cet endroit extraordinaire où garçons et filles peuvent se rencontrer, organiser des activités, voter leurs propres règlements et disposer d’une maison, tout ça sous l’œil bienveillant de frères d’une communauté dont on ne sait pas grand-chose. C’est louche et je suis sceptique, très sceptique même!
Alors en ce beau dimanche de juin, je commets mon premier péché mortel. Oui, je l’avoue, j’ai pour la première fois manqué la messe du dimanche. Nous nous sommes mises en route à partir de chez moi sur la rue Paris et longeons le boulevard Gouin à pied, pour nous rendre sur la rue l’Archevêque, au 12036 plus précisément.
Des jeunes de mon âge et aussi des un plus âgés, il y en a en effet effectivement plusieurs. Sans vraiment les connaître, plusieurs visages me sont pourtant familiers car ils fréquentent comme moi l’école secondaire Pie IX. En ce temps-là, à Pie IX on vient d’instituer la mixité dans la cour d’école; avant, il existait au centre de la cour de récréation un espèce de « no men’s land » que personne n’avait le droit de franchir et qui séparait les groupes selon leur sexe.
Mais ici c’est autre chose, Des jeunes il y en a dehors sur la galerie qui jasent en fumant, d’autres qui s’essaient à gratter la guitare. En entrant à gauche, se trouve un bureau qu’occupent quelques responsables. Parmi eux, Léo, (en fait, il s’appelle Léonard, mais c’est trop long , alors on coupe) qui nous dit tout de suite de le tutoyer; c’est un frère, il est prof. de mathématiques, il m’est tout de suite sympathique, j’admire sa capacité d’analyse et son sens de l’humour.
Un des autres occupants du bureau s’appelle Bernard; je le vouvoie car le personnage me semble plus vieux que nous, il porte habit et cravate, c’est sûrement un des frères ! On poursuit la visite. D’abord le salon à droite, où dans un coin est installée une stéréo, plusieurs écoutent la musique, d’autres jasent tout simplement.
Dans la salle à manger qui communique avec le salon, un groupe joue aux cartes, au 500, d’autres suivent le jeu en attendant leur tour car ils sont « next » . Pièces suivantes, cuisine et salle de bain.
Au deuxième étage ce sont les pièces réservées aux frères, on peut les visiter, mais après ça c’est privé (en théorie, car au fil du temps nous allons envahir leur domaine à de nombreuses occasions : réunions du comité responsable, réunions du comité de ballottage des futurs membres, rencontre en particulier avec un des moines, séances de développement de photos dans la salle de bain avec Gilles, vestiaire lors de défilés de mode.
À côté de l’escalier menant à l’étage, se trouve une garde-robe qui deviendra sous peu une cabine téléphonique. La pièce suivante sert de vestiaire, s’y trouve une machine à liqueurs; c’est à partir de cette pièce qu’on accède au sous-sol.
À cette époque, le sous-sol n’est pas encore aménagé, il est meublé de sofas, coussins et chaises. Il sert pour les assemblées générales, les cafés thématiques, les auditions de disques, quand il n’y a pas d’activité prévue il sert simplement comme lieu de rencontres. Dans une section, on y a installé une table de ping-pong où de nombreux amateurs s’affrontent.
Dehors, à l’arrière, la cour n’est pas aménagée, elle sert de stationnement, mais le terrain est assez grand pour que des équipes informelles de volleyball s’y divertissent.
Vous remarquerez que je n’ai nulle part fait mention de la télévision (On n’en avait pas besoin, sauf à l’occasion pour une émission spéciale, genre les séries de la coupe Stanley).
C’est un endroit très convivial et je suis vite à l’aise au contact des autres. On parle, on chante, on organise une activité. Quand on me propose de devenir membre j’accepte immédiatement car je sens que je vais faire un bout de chemin ici. Jacynthe et moi allons au resto du coin prendre une bouchée et revenons passer la soirée avec la gang. Je suis conquise par l’ambiance qui y règne : c’est détendu, simple, dynamique; de plus, l’Arche est à construire, c’est sûr que je vais y revenir. En fait, j’y suis revenue le lendemain après mon examen de math, je suis revenue le surlendemain et tous les autres jours de la semaine.
J’ai trouvé ma place parmi des jeunes de mon âge, de mon milieu social. J’apprends à mieux connaître chacun des frères. J’ai la chance de les fréquenter d’une façon différente parce qu’en plus d’être membre de l’Arche des jeunes j’offre mes services en tant que cuisinière (ils ne se sont pas organisés à ce niveau-là, le premier été, des filles de l’Arche vont tour à tour jouer ce rôle). Je suis une novice, ils me serviront de cobayes (Cet été là c’est Carole L. qui m’apprend à cuisiner une sauce à spaghetti) À l’automne, madame Rodrigue prend officiellement le poste de cuisinière durant la semaine et on me propose le travail pour les fins de semaine. C’est donc avec eux que j’ai fait mon apprentissage culinaire. Coiffer deux chapeaux, comme membre de l’Arche et comme employée a demandé des ajustements de ma part mais aussi du côté des frères et des autres jeunes que je côtoyais.
lo et moi nous nous sommes accrochés à quelques reprises et il m’est arrivé de croiser le fer avec un certain Louis L. avec qui j’ai dû m’expliquer sur mon rôle.
Avec le recul, je me rends compte que le fait d’être leur employée m’a permis d’être un témoin privilégié de la dynamique que vivaient les frères entre eux. À dix-sept ans on est le centre du monde, alors les frères arrivaient dans notre vie comme en un tout-inclus : la maison, les meubles … et les frères. On vivait tellement le moment présent, de façon si intense, qu’on avait peine à imaginer qu’ils avaient un passé, une vocation. Que pour eux l’Arche était l’aboutissement d’un projet qu’ils portaient de longue date. À l’Arche on parle peu de foi, de pratique religieuse, on est un peu curieux de savoir comment se déroule la vie en communauté, mais pas plus que ça, on se contente de les taquiner un peu . Frère du Sacré-Cœur un jour … Je vous les présente
Flo : Il s’appelle Florian mais c’est trop long, alors on coupe. C’est le boss, un peu plus distant que les autres frères, il est un peu maladroit mais très direct. Quand il prend la parole durant une assemblée ça se traduit généralement par une proposition à voter. C’est souvent lui qui fait les rappels (ramassez vos traîneries avant de vous en aller, enlevez vos bottes dans le portique, respectez le couvre-feu durant la semaine). On le retrouve au salon où il massacre aux échecs tous ceux qui ont le courage de l’affronter.
Léo : Sa présence tranquille, sa disponibilité, son humour décapant en fera bientôt le confident de plusieurs, surtout des filles. C’est un être qui invite à la réflexion sans imposer ses convictions. C’est une personne qui a encore aujourd’hui une place dans ma vie
Gilles : Discret mais présent il est passionné par la photographie. Il immortalise les petits et les grands moments de notre aventure. Tout comme Léo, Rémi et Pierre , il est plus à l’aise avec certains, c’est une question d’affinité.!
Pierre : Philosophe, drôle, rêveur, que de qualificatifs pour décrire le grand Pierre, surnommé affectueusement NDG.
Rémi : Sportif, homme d’action, il rassemble autour de lui garçons et filles qui aiment bouger : les quilles, les matches de hockey, sorties à la Ronde, les courses au Mont-Tremblant, Rémi est toujours partant .
Réal : C’est celui que j’ai le moins connu car il est arrivé plus tard. Ce que je peux en dire c’est qu’il a été plus près des jeunes de la deuxième vague, ceux que l’on surnommait les gogos et qui occupaient le sous-sol où ils aiment danser, en opposition à nous surnommés les anciens, qui occupions le rez-de-chaussée
Si ce que je vous décris vous parait idyllique, détrompez-vous! Il y a eu beaucoup de pleurs et de grincements de dents. Mais il y a eu aussi tellement de bons moments .Aujourd’hui quand je rencontre des membres de l’Arche, je suis toujours étonnée de constater à quel point notre personnalité était déjà affirmée. Somme toute, cela n’a pas duré bien longtemps, à peine deux ans, mais combien intenses. À votre contact mes amis, j’ai vécu des expériences qui m’ont permis :
- de prendre ma place
- de cultiver des amitiés qui durent encore
- d’apprendre à respecter les différences de point de vue
- mais surtout, le plus important, c’est d’apprendre à faire passer le projet commun (l’Arche) avant les individus. J’ai eu la chance de vous connaître, à votre contact je pense être devenue une meilleure personne, c’est une expérience semblable qu’on peut souhaiter à son enfant, son petit-enfant. C’est un plus dans une vie. J’ai hâte de vous revoir.
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